J'ai passé deux chouettes semaines dans les montagnes de Mozonte à la rencontre de petits producteurs de café. J'en ai fait un cours récit.


Après être allé chercher une paire de bottes en vitesse, Victor vient me chercher à mon hôtel d'Ocotal vers 9h. Je suis un peu surpris de constater que nous allons nous rendre à sa finca (à 15km de là, dans les hauteurs) sur sa moto. Je n'ai pas de casque et la police va vite s'en apercevoir, elle nous arrête au bout d'un kilomètre. C'est une simple réprimande et une injonction à faire enregistrer ma venue au commissariat du coin. Le voyage n'est vraiment pas de tout repos et il me faut descendre de la moto plusieurs fois pour grimper à pied les chemins les plus glissants et pentus. Mais nous voilà déjà arrivés dans ces montagnes verdoyantes !

Victor est le président de la coopérative de café de Mozonte. C'est un trentenaire dynamique qui s'occupe seul de sa finca, un mec que je trouve intéressant et atypique - encore plus pour le Nicaraguaya : alors qu'il ne descend pas d'une famille de paysans, il a commencé à acheter des terres il y a 8 ans pour y produire du café. En parallèle, il a suivi des cours de socio puis de droit. Il est aujourd'hui avocat et rédige des actes de temps en temps.

La coopérative regroupe une quarantaine de petits producteurs de café de la zone. ES44 l'a dotée d'un fond de crédit qui permet à la coopérative d'octroyer des crédits à ses membres pour l'entretien et la rénovation des parcelles. Et c'est important, car les banquent ne leur prêtent pas.

Tous les paysans ont une maison "en bas", à Mozonte. Ils travaillent en général à la semaine dans leur finca et descendent les week-ends pour rejoindre leur famille.

On leur achète leur café selon son cours à la bourse de New-York. En l'occurrence, ils vendent le bon café (qualité dite AA ou AAA) autours de 300$US le quintal (soit 5,5€/kg) mais la majorité de leur production est de basse qualité, mieux résistante aux maladies, valorisée à seulement un peu plus de 100$US le quintal.

Victor a un potager, des plaques de gaz, un matelas et une douche. Du jamais vu dans le coin ! En plus il est athée, imaginez-vous...! Je passe deux jours chez lui, l'aidant à fertiliser des caféiers et à planter quelques fleurs.


Changement complet d'ambiance le mercredi, Victor m'emmène dans la famille de Roman pour les cinq prochaines nuits. Victor m'avait prévenu : je capte un mot sur deux (et presque rien quand ils parlent entre eux). Les échanges sont moins vifs mais le rythme tranquille me va bien. Après être allé chercher de la terre plus haut, nous remplissons des petits sacs qui accueillerons des plantules de café.

Dans cette zone stratégique (nous sommes à quelques kilomètres du Honduras), la guerre civile (1982-1988) fût intense. Roman a été contraint de rejoindre les contras et passa onze années dans leurs rangs, passant la majorité du temps à affronter l'armée d'Ortega (déjà là celui-là) et quelques semaines par an de repos au Honduras. Ces groupes de 10 à 50 unités (les officiers étant d'anciens membres de la Garde National de Somoza et les simples soldats souvent des paysans me raconte-t-il), opéraient des raids avec pour objectif de retourner la population contre le gouvernement sandiniste. Ce n'est que lorsque les contras furent progressivement désarmés qu'il put rejoindre ses terres sans craindre de représailles pour sa famille. Il a rencontré sa femme, Lucia, au Honduras et leur unique enfant, Freddy, y est né.

Les producteurs de la zone font bien sûr leur propre café - ils en boivent au minimum une demi-douzaine par jour - selon un procédé ancestral : les cerises (fruits du caféier, appelé uva - raisin - ici) séchées sont pilées à l'aide d'un mortier creusé dans un tronc d'arbre pour séparer les grains de l'enveloppe. On élimine les résidus de l'enveloppe par gravité (et avec l'aide du vent) puis les grains sont torréfiés en les faisant griller dans une grande sauteuse. Enfin, ils sont broyés avec un moulin à café. C'est bien de penser un peu à tout ça avant de mettre sa dosette dans sa cafetière !;)

La nourriture est moins diversifiée que chez Victor, quoique très bien cuisinée. On mange à tous les repas des frijoles (haricots rouges), du riz et des tortillas (galettes de mais). On accompagne parfois avec des œufs, un bout de fromage, une patate, des spaghettis, etc. Un soir, Roman me fait manger des morceaux de viande grillés, du pizote me dit-il. Après recherche, il s’agissait d'un pauvre coati... Attrapé par ses chiens.


Je change de maison le lundi pour un voisin de Roman, Juan Carlos. Il a actuellement trois travailleurs et une cocinera (cuisinière). Nous allons élaguer des arbres qui font trop d'ombre au café, à la machette bien sûr. En neuf mois de voyage, et malgré l'utilisation tous azimuts qu'en font les paysans latino-américains (la tonte de pelouse restant pour moi le plus impressionnant), c'est la première fois que je me sers réellement de cet outil très addictif. Cependant, la joie des premiers instant s'estompe vite : au bout d'une heure j'ai la main droite couverte d'ampoule, et au bout de deux, les deux mains... Mais j'ai encore tous mes doigts, c'est déjà ça !

Juan Carlos était ado quand les sandinistes sont arrivés au pouvoir. Il s'est enfui au Honduras pour échapper au service militaire obligatoire mis en place en 1983. Il y a vécu trois ans dans un de ces quatre camps pour réfugié·e·s nicaraguayen·ne·s financés sur fonds états-uniens.

Le mercredi, nous allons cueillir le café restant sur une parcelle de sa sœur. Le terrain est si pentu, et jonché de bois morts (les chutes d'un élagage), qu'il m'est impossible de naviguer stablement entre les cafetiers. Malgré de nombreuses glissades, je ne suis pas peu fière d'avoir rempli mon panier ! Même si, à vrai dire, un travailleur en ramasse jusqu'à dix dans une journée.

À la finca, on écoute les infos à la radio sur le mouvement de manifestations qui agite le pays, et la répression qu'il subit. On accuse la police de tirer au sniper sur les manifestants : 42 mort·e·s au total en 6 jours. Le pouvoir, de Daniel et Rosario, est aux abois. Et les paysans de la zone semblent critiquer fortement son action, malgré les appels répétés à la radio "au retour de la paix et de la normalité" de la très pieuse Rosario.

Je refusais d'y croire au début, mais Juan Carlos m'a bien transmis la grippe. J'associais forcément la grippe avec l'hiver mais par ici, elle peut survenir toute l'année ! Ça m'a un peu incommodé mais rien de foudroyant non plus.


Je passe la dernière nuit chez Armando, dans sa petite finca. Il a un cheval, qui lui permet de se déplacer plus facilement : sa finca est en hauteur et éloignée des quelques routes de la zone. Armando a échappé de justesse au service militaire durant la guerre (l'âge minimum était de 16 ans) : il avait 14 ans quand la guerre a pris fin.

Nous avons juste le temps de trier un peu de café et de faire un tour de sa finca. Il essaie d'installer un arrosage automatique pour sa nouvelle parcelle de frijoles. Mais le tuyau qui amène l'eau se bouche fréquemment, j'espère qu'il trouvera comment rendre l'arrosage vraiment automatique !:)

Le vendredi à l'aube, Freddy me prend sur la route pour redescendre à Ocotal, dans le pick-up plein à cracker de monde, de bananes et de bois, mais où on a pris soin de me laisser la meilleure place à l'avant. Ils sont trop sympas, vraiment.


Ces rencontres dans ces quatre fincas ont été toutes différentes, singulières et enrichissantes. Merci à elleux et spécialement à Victor pour avoir arrangé ma venue !

Je leur ai déjà promis de revenir un jour, boire une tasse de café.