C'est donc à 5h30 que je présente au port pour un long voyage. 11h de navigation, avec nombreux d'arrêts pour y déposer ou prendre celleux qui habitent le long du fleuve. En plus de ça, cinq contrôles militaires jalonnent le trajet. C'est juste avant le premier que je me suis demandé "pourquoi diable tout le monde met-il son gilet de sauvetage ?"... Et le retire juste après. Le fleuve fait en effet office de frontière sur la majorité du trajet, et l'armée nicaraguayenne y contrôle d'éventuels trafics (en plus de montrer qu'ils sont les maîtres ici, bien sûr). Durant le trajet, j'ai pu voir quatre énormes alligators qui faisait bronzette sur des parties non immergés du fleuve ! Ce dernier est en effet d'un niveau très bas et de nombreux rapides le parcourent.

En arrivant à San Juan de Nicaragua, c'est le coup de cœur pour ce village de 1500 âmes sans voitures mais aux rues larges et colorées. J'ai vite fait de rencontrer les cinq autres touristes du village, et je me dis que mon projet de partager un guide à plusieurs pour diminuer le coût d'un tour dans la réserve Indio Maiz va être compliqué... Dans l'après-midi, je manque même de me faire agresser par trois types apparemment soûls après être allé manger près du stade où se jouait un match de baseball. Mais lorsque je les recroise 1h plus tard, ils m'invitent à boire un coup dans un bar en m'expliquant que ramasser de l'herbe est un geste insultant chez eux (on s'essuie les mains comme on peut après un repas sans couverts). On était quand même pas loin de l'abandon lorsque vers 19h, Margarito vint frapper à ma porte. Il est Rama, vit dans la réserve et a passé une formation de guide. Nous finissons par trouver un marché : je passerai les quatre prochains jours chez lui, avec sa famille !

Les Rama sont un peuple autochtone vivant sur la côte caribéenne au sud du Nicaragua (population estimée : 2000). La plupart des Ramas parlent le "Rama Cay Creole" : imaginez-vous des indigènes parlant majoritairement anglais, avec un accent allemand, et des mots de leur ancien langage aujourd'hui en phase d'extinction. La créolisation de leur langue serait advenue à partir de 1847, lorsque des missionnaires Moraves (Église protestante de la Saxe) encourageaient les Ramas à passer à l'anglais.


Au premier jour, nous partons donc pour la maison de Margarito. Nous naviguons sur sa pirogue faite d'une seule pièce de bois durant 6h, remontant le fleuve Indio et nous enfonçant dans la jungle. On le remarque vite, l'ouragan Otto a ravagé la réserve fin 2016 et beaucoup de grands arbres ont été fauchés...

Seulement huit familles Rama vivent éparpillées le long du fleuve, auquel s'ajoute quelques familles mestizoses (ayant des ancêtres indigènes et Espagnols). La famille de Margarito est composée de lui, sa femme et de leur 7 enfants (dont une seule fille). Des dizaines d'animaux y vivent aussi : des chiens, des poules, un chat, et des oiseaux. Il me fait visiter leur jardin, où ils font pousser de quoi subvenir à leurs besoins : haricots rouges, riz, coco, bananes, maïs... Et ceux des animaux : Margarito m'explique que 50% du riz sera par exemple mangé par les oiseaux, ce qui est bien normal ajoute-t-il.

Le lendemain, nous partons faire une balade de 3h dans la jungle pour aller voir les pyramides de Canta Gallo (peut-être d'anciennes ruines, mais plus sûrement des formations géologiques créées par de la lave il y a des millions d'années) et prendre de la hauteur. La jungle s'étend à perte de vue ! Nous y croisons grenouilles, singes, papillons et araignées. Nous y observons également des empreintes et excréments de jaguar, que Margarito croise régulièrement.

Les Ramas se battent depuis longtemps contre les tentatives d'installation sauvage d'individus ou d'entreprises dans la réserve, ainsi que contre les efforts de l'État pour réduire leur autonomie (un Statut d'autonomie prévu par la constitution de 1987 a cependant été ratifié en 2003, mais son application reste compliquée). Des panneaux ont été installés dans la réserve ou on peut lire "L'achat et la vente de nos Ressources Naturelles est ILLÉGALE". Le projet de canal inter-océanique a été réanimé en 2013 (cf le Canal de Panama) et, s'il est achevé, traversera la réserve avec de lourdes conséquences sociales et environnementales pour les Ramas.

L'après-midi, nous allons pêcher différents poissons. De nous quatre (deux garçons de Margarito nous accompagnent), je m'en tire le mieux avec 4 prises ! Nous allons également relever des pièges à écrevisses, qui ont fait une prisonnière. Nous allons déguster tout ça chez des ami·e·s de Margarito avant d'y passer la nuit.

Le lendemain, nous poussons encore plus loin dans la réserve. Alors que le faible niveau d'eau rend le voyage de plus en plus compliqué, je sors du bateau pour aider mes trois compères à faire avancer le bateau. Mais le courant est trop fort, et un enfant est emporté. Je tente de le retenir, mais nous sommes entraînés tous les deux avant de nous rattraper finalement à des racines 20m plus loin... Une réaction stupide (ou héroïque, au choix), puisque le gamin de 7 ans est bien meilleur nageur que moi et que j'avais dans ma poche mon smartphone (qui me fait office de montre, carte, guide, réveil, etc - on s'en rend compte à ce moment la)... Il y a survécu heureusement, mais ma magnifique casquette péruvienne est perdue à jamais.

Après une nouvelle partie de pêche, nous finissons par atteindre la "Cascade des singes" et nous baignons pendant que Margarito nous prépare un repas délicieux : il fait cuire le poisson accompagné de malanga (gros tubercule blanc) dans un lait de coco artisanal, une tuerie ! Une deuxième et dernière nuit dans la maison familiale et nous rentrons le lendemain à San Juan, après un pique-nique à côté d'un poste de contrôle abandonné.

Quelle expérience inoubliable !